Les Rêveurs d’Isabelle Carré : Quand la pluralité des pratiques devient une main tendue en santé mentale
Réflexion libre de Florence Villars Martinho, art-thérapeute à Toulouse, après le visionnage du film Les Rêveurs, long métrage autobiographique d’Isabelle Carré adapté de son roman éponyme.
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Il y a des films qui vous rappellent pourquoi vous avez choisi d’accompagner l’humain. Les Rêveurs, ce long métrage d’Isabelle Carré, fait partie de ceux-là : un film délicat, pudique où la fragilité des adolescents se mêle à la mémoire des soignants, à leurs doutes aussi.
En tant qu’art-thérapeute, j’ai eu impression étrange d’avoir vu défiler mille visages : ceux des jeunes que j’accompagne, ceux que j’ai croisés. Il y avait tout cela dans cette histoire : une sensation qui remue.
Une adolescence enfermée… puis réouverte
Dans le film Les Rêveurs, la jeune Elisabeth est hospitalisée en pédopsychiatrie après une tentative de suicide. Nous voilà plongés dans les années 80, avec leurs traitements, leurs couloirs, les enfants abandonnés à leur silence, à leurs cigarettes, à la confusion.
Je dois avouer que cela m’a serré la gorge. Parce que, même si les choses ont changé, nous savons tous que les services de pédopsychiatrie restent sous-dotés, épuisés, trop souvent et malgré eux débordés. Ce film n’accuse pas. Il montre.
Trente ans plus tard, l’adulte qu’est devenue Elisabeth (interprétée par Isabelle Carré elle-même) retourne dans un service similaire, cette fois pour proposer un atelier d’écriture. Un geste simple, presque banal. Mais dans certains environnements, un geste simple peut devenir un souffle.
C’est là que le film prend une toute sa dimension : ce passage du tout-médical à une place faite au sensible.
Le soin ne se réduit pas à une discipline : c’est une conversation de métiers, de regards et de gestes
Ce qui m’a frappée, c’est la façon dont le film montre que la santé mentale appartient à tous : Aux psychiatres, aux psychologues, aux thérapeutes en médiation artistique, aux éducateurs, aux familles et surtout à eux.
Elle est à tous ceux qui se tiennent autour du jeune, chacun à sa place, chacun avec ses forces et ses angles morts.
Le film n’oppose jamais les disciplines. Il révèle au contraire leur complémentarité naturelle, presque organique. Dans les moments de crise, la médecine sauve, c’est essentiel, il ne faut pas l’oublier. Mais dans les moments de reconstruction, d’ajustement, de réappropriation de soi, la création, le jeu, la parole, le récit, la présence deviennent tout aussi importants.
Comme art-thérapeute, j’ai retrouvé là quelque chose que je vis souvent : ce moment où un jeune, qui se dit « cassé », recommence soudain à imaginer un monde. Un monde à lui. Un monde où il existe autrement que comme « patient ».
L’atelier d’écriture : un espace qui répare doucement
L’atelier proposé par Elisabeth dans le service n’est pas un miraculeux dispositif thérapeutique. La réalisatrice a la prudence de ne pas en faire un lieu magique. C’est un endroit modeste. Une table. Un cahier. Quelques ados qui n’ont pas forcément envie d’être là. Et pourtant, quelque chose se passe.
On ne sauve personne par un atelier. Mais on rouvre une porte. Une toute petite, parfois. Mais c’est suffisant pour entrer un peu d’air. Le film dit cela très bien : que l’art peut être un détour, un chemin parallèle qui permet d’approcher ce qui fait trop mal de face.
Ce que le film nous rappelle, à nous praticiens
Les Rêveurs devrait être montré à tous les étudiants en santé mentale. Pas pour y trouver un modèle. Mais pour y percevoir une éthique.
Voici ce qu’il m’a laissé :
- La pluralité des approches n’est pas un luxe, mais une nécessité humaine. On est toujours plus juste à plusieurs voix qu’en solo.
- Créer, c’est respirer. Pour certains jeunes, l’art est la seule fenêtre encore ouverte.
- Ce qui soigne, ce n’est pas que la technique, c’est aussi la rencontre. Cela fait du bien à voir.
- La parole n’arrive pas toujours par la bouche. Parfois, elle arrive par une image, une phrase écrite, un geste, un dessin griffonnée.
- On ne guérit pas les gens : on les accompagne à se retrouver. Nuance immense.
Pourquoi ce film est précieux pour celles et ceux qui travaillent par l’art
Ce film m’a rappelé que notre place existe comme un élément du cercle thérapeutique. Ce que Les Rêveurs montre, c’est un « faire-soin” collectif, une façon d’être plusieurs autour d’une fragilité.
Et surtout : il rappelle que l’humain est traversé de contradictions, de failles, de rêves et il faut différentes mains pour l’accueillir.
Certaines mains médicales. D’autres éducatives. D’autres créatives.
La santé mentale est trop complexe pour être traitée par une seule porte d’entrée. Et c’est tant mieux. Parce qu’être plusieurs autour d’un être humain, c’est déjà le début du soin.
Florence Villars Martinho, psychanalyste et art-thérapeute
Florence Villars Martinho vous accompagne dans l’exploration de votre monde intérieur. Elle utilise la psychanalyse et l’art-thérapie pour aider les personnes souffrant de diverses problématiques telles que l’anxiété, la dépression, les problèmes de confiance en soi, les troubles du comportement, les traumatismes et les difficultés relationnelles.




